Entretien avec Christophe Montenez et Jules Sagot

Nous qui sommes des vieux en devenir

Le sociétaire Christophe Montenez met en scène avec Jules Sagot une comédie sur le thème de la vieillesse. Ils rouvrent un pan de l’histoire de la Comédie-Française, l’utopique maison de retraite pour artistes de Pont-aux-Dames, et imaginent une émission à laquelle participent, bon gré mal gré, d’anciens acteurs et actrices de la Troupe pour sauver leur havre de paix de fin de vie.

Et si c’étaient eux ?, texte et mise en scène Christophe Montenez et Jules Sagot, est présenté au
Théâtre du Vieux-Colombier du 27 septembre au 5 novembre 2023.

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  • Chantal Hurault. Comment est né ce projet d’une pièce originale sur la vieillesse ?

Christophe Montenez. La pièce est née de nos échanges sur le théâtre mais aussi du fait que nous avons tous deux perdu nos grands-pères récemment et avons donc été en prise avec l’accompagnement de la fin de vie. De là est née notre envie commune de nous lancer dans une comédie sur un Ehpad. Puis, ayant découvert le film La Fin du jour de Jean Duvivier, inspiré par l’hospice de Pont-aux-Dames fondé au début du XXe siècle pour des artistes à la retraite, nous nous sommes intéressés à l’histoire de ce lieu, notre désir de comédie se mâtinant de réflexions sur l’art et le patrimoine. De là est venu le projet de la monter à la Comédie-Française, lieu particulièrement respectueux du passé, en réfléchissant à ce que représente le patrimoine et le legs

Jules Sagot. Notre projet a pris forme dans l’addition de ces désirs et recherches, avec cette question centrale : pourquoi les vieux nous effraient-ils ? Est-ce parce qu’ils sont des miroirs de notre propre finitude qu’on les disqualifie ainsi ? Face aux récents scandales d’Ehpad privés à but lucratifs qui ont défrayé la chronique, des investigations comme celles de Vincent Castanet, publiées dans Les Fossoyeurs, nous ont éclairés. Il nous tenait à cœur d’évoquer jusqu’où va l’abandon de certains de nos concitoyens, condamnés en tant qu’êtres inutiles, et plus globalement en quoi le mépris de la société, qui s’étend à toute forme de faiblesse, la voue à vivre dans l’angoisse. La pièce raconte cette maltraitance qui se retourne vers nous-mêmes, nous qui sommes des vieux en devenir.

  • Chantal Hurault. En quoi l’hospice de Pont-aux-Dames représente-t-il une utopie ?

Jules Sagot. L’idée de Coquelin était un hospice fonctionnant en autarcie, avec un château d’eau, un potager et une ferme tenus par les résidents eux-mêmes. Ils s’occupaient aussi de la billetterie et des visites d’un musée du Théâtre, auquel Coquelin ou Sarah Bernhardt ont légué des œuvres. Le lieu abritant un théâtre d’hiver et d’été, des équipes de pièces parisiennes en tournée y donnaient régulièrement leur première représentation, offrant les recettes à l’hospice. Tout un petit monde, dont de nombreux artistes en activité, s’est ainsi mis au service de la concrétisation d’une utopie.

Christophe Montenez. Je suis entré dans la Troupe en 2014, et il y avait encore ce qu’on appelait le Sabot de Noël, une représentation spéciale où le public était invité à donner de l’argent pour améliorer le quotidien à Pont-aux-Dames. Une vraie magie se dégage de ce lieu, créé avec un immense panache. Son fonctionnement a évolué au cours du siècle, mais il reste traversé d’un élan philanthropique très émouvant. Parmi les nombreuses enquêtes sur les Ephad et la fin de vie, nous avons reconnu dans les projets de certains spécialistes l’utopie de Coquelin. Des Pont-aux-Dames 2.0 !

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  • Chantal Hurault. Monter cette pièce à la Comédie-Française, théâtre de troupe, renforce l’idée d’une communauté vieillissant ensemble. Est-ce un sujet qui vous touche ?

Christophe Montenez. Cela fait une dizaine d’années que Jules et moi travaillons ensemble, notamment au sein du collectif Les Bâtards dorés que nous avons fondé à notre sortie de l’École du Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine avec trois amis. Il s’agissait d’habiter notre métier, assez libéral de facto, d’une autre façon, de se prendre la main sans se laisser dériver au gré des auditions. Notre collectif s’est depuis élargi et chacun navigue entre projets personnels et communs. Je suis heureux d’inviter Jules à rencontrer cette autre famille qu'est pour moi la Troupe. Monter ce projet ici a du sens pour nous deux. Car à l’instar de Pont-aux-Dames, la Comédie-Française a perduré grâce à un système de mutualisation. Elle apparaît dans notre pièce comme l’ovni qu’elle est dans le paysage mondial des institutions théâtrales. Les personnes qui constituent cette communauté et qu'elle nourrit en retour depuis des siècles ne lui sont pas forcément attachés pour les mêmes motivations, mais un fonds commun les rassemble. La pièce est le fruit d’une combinaison de rencontres nourrie de cette préoccupation du collectif.

Jules Sagot. Nous interrogeons l’idée de communauté depuis longtemps, dès notre première création au sein des Bâtards dorés. Cet idéal nécessite de la vigilance pour ne pas glisser vers le repli sur soi ou le communautarisme. Comment fabriquer son petit pays de cocagne au sein d’un plus grand ensemble ? Pont-aux-Dames est un modèle inspirant et irradiant, insufflant une énergie précieuse.

  • Chantal Hurault. Peut-on dire que votre pièce est une dystopie ?

Jules Sagot. Elle s’apparente à une dystopie dans le sens où le contexte social et politique, comme le principe de l’émission « Et si c’étaient eux ? », sont dans un prolongement négatif d’une certaine idéologie contemporaine – le cynisme ayant tout emporté sur son passage. Mais nous ne sommes ni dans l’anticipation ni dans la science-fiction, et absolument pas dans un monde ultra-contrôlé où l’on ne parvient pas à échapper au pouvoir. Théâtralement, nous aimons dans cette dimension parallèle à notre présent le contrat secret qu’elle scelle avec le public, qui accepte d’y croire. Et nous faisons tout pour que ce soit le plus plausible.

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  • Chantal Hurault. Vous présentez la pièce comme une « farce pathétique » : qu’entendez-vous mettre en jeu à travers ce registre ?

Jules Sagot. Ce qui nous fait rire dans la comédie, c’est l’expiation d’une angoisse. Ici, nous traitons principalement celle de la mort, l’expiation d’une forme de culpabilité par rapport à nos vieux abandonnés. Cela, à travers le rire. L’idée de « farce pathétique » embrasse le paradoxe de nos existences : d’un côté, tout est vanité, rien n’est grave ; de l’autre, tout est primordial, chaque mouvement ou intention se répercute sur une autre. Avec cette forme, nous montrons des humains se débattant entre le trivial et le sublime. Sans trop nous prendre au sérieux. Notre démarche est à la fois grave et inconséquente. Si le fond est sombre, la forme sera – nous l’espérons – très drôle, dans un mélange de registres réjouissant pour les acteurs et actrices mais aussi pour le public.

  • Chantal Hurault. Cette pièce est-elle l’occasion de rendre un hommage au répertoire, comme Cyrano de Bergerac dont vous faites jouer un extrait ?

Christophe Montenez. Le répertoire traverse les millénaires. C’est incroyable de voir que, dans notre présent galopant, une pièce de Sophocle peut encore nous bouleverser. Voir ainsi des vieux, fatigués, porter de vieux textes, des textes d’amour et d’absolu qui ressurgissent d’un temps ancien, participe de ce bouleversement. Lorsqu’on joue le répertoire, on est saisi par son lien avec une sorte d’inconscient collectif ; ça parle, ça vibre, comme si nous étions un petit os creux.

Jules Sagot. Nous avons choisi des extraits du répertoire du XIXe et début XXe pour l’énergie et la puissance qu’ils recèlent. En acceptant de participer à l’émission, nos vieux ont dû « mettre de l’eau dans leur vin », mais avec des pièces comme Cyrano, ils vont jouer l’héroïsme, incarner le refus du consensus. Et ainsi offrir des solutions théâtrales à des questions apparemment insolubles.

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  • Chantal Hurault. Le décalage entre l’univers de l’émission et ces monuments de la littérature, qui restent vivants dans la mémoire et l’histoire de ces interprètes, sera-t-il criant ?

Christophe Montenez. Il s’agit d’une émission médiocre diffusée sur impot.gouv. Le décor est tapageur, d’assez mauvais goût, et la poésie naît au sein de cette scénographie abiotique. Cela met à l’œuvre une dialectique : sommes-nous créateurs ou tributaires du contexte ? L’émission contraindra-t-elle discours et théâtre à l’efficace et au spectaculaire ou bien nos vieux aux articulations qui grincent, aux cerveaux fatigués pour certains, aux motivations intimement disparates d’être ici, contraindront-ils l’émission à poser un genou à terre et à tendre l’oreille à l’inattendu ?

  • Chantal Hurault. Pourquoi avoir pris le parti de faire jouer ces vieux acteurs et vieilles actrices par des personnes plus jeunes ?

Christophe Montenez. Plus que de la vieillesse, nous parlons de l’angoisse de la vieillesse – du haut de notre trentaine. Les grimer rend visible l’aspect spéculatif de nos questionnements. Jouer « sa vieille » ou « son vieux » va être puissant pour les interprètes, cela dans la complicité pour une partie du public qui connaît la Troupe, et dans une étrangeté stimulante pour l’autre.

Jules Sagot. Le travail des corps est un défi : il leur faudra être à la fois crédibles en âge et d’une grande vivacité pour suivre le rythme, rapide comme dans un Feydeau. Nous travaillons à un équilibre, dans une incarnation sensible et commune. Un immense enjeu tient évidemment dans le maquillage : vieillir des visages sans tonalité morbide, en conservant mobilité et souplesse dans l’expression. Cécile Kretschmar a effectué un travail splendide. Au-delà de la performance, cela offrira une perception unique de la transformation propre à l’art. Le théâtre a depuis longtemps repris à son compte la notion de catharsis, cette remémoration affective permettant la sublimation des passions. Ici, nous aimerions que les acteurs et actrices « se remémorent leur fin de vie », avec tous les affects que permet la magie du spectacle.

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Entretien réalisé par Chantal Hurault

Article publié le 13 septembre 2023
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